Stanley Cavell
Mon intuition est que l’avènement du scepticisme tel qu’il se manifeste dans les Méditations de Descartes est déjà totalement présent chez Shakespeare, avec les grandes tragédies des premières années du xviie siècle qui sont aussi celles de la génération juste avant Descartes. Si forte que soit, dans certaines pièces de Shakespeare, la présence de Montaigne et de son scepticisme, la problématique sceptique à laquelle je pense trouve son expression philosophique la plus accomplie dans la façon qu’a Descartes de poser la question de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme, en préalable à la question de la crédibilité de la science nouvelle du monde extérieur. Ce qui est en discussion n’est plus ou n’est pas seulement, comme pour le scepticisme antérieur, de savoir comment se conduire le mieux possible dans un monde incertain ; la question qui se profile est, ni plus ni moins, de savoir comment vivre dans un monde sans fondement. Notre scepticisme est fonction de notre désir désormais sans limites.
Le théâtre élisabéthain est contemporain de l’émergence du scepticisme philosophique au fondement de la pensée et de la science européennes modernes. Dans cette série d’études classiques sur le drame shakespearien, Stanley Cavell montre comment la tragédie se nourrit de questionnements fondamentaux sur la nature du savoir, se faisant ainsi l’écho de la crise de la connaissance qui a traversé son temps.
Les grands personnages shakespeariens incarnent chacun avec force une ou plusieurs options du scepticisme. Que leur doute porte d’abord sur l’amour filial (Le Roi Lear), la fidélité conjugale (Othello, Le Conte d’hiver), la légitimité du meurtre (Macbeth) ou de la vengeance (Hamlet), la nature du pouvoir et des rapports sociaux (Coriolan), le destin des empires et du monde (Antoine et Cléopâtre), il menace de s’étendre à la réalité tout entière et de les précipiter dans la folie.
Lui-même héritier de la tradition sceptique, qui s’incarne encore dans les Recherches philosophiques du second Wittgenstein où elle investit la question du langage, Cavell n’a cessé de parcourir la généalogie de ce courant de pensée pour en restituer la vérité profonde : le déni de savoir est un masque qui cache l’incapacité à reconnaître l’autre. C’est en réhabilitant le langage ordinaire, auquel la pensée a souhaité tourner le dos, que la relation au monde peut être rétablie et la tragédie conjurée. Cet horizon constitue l’originalité profonde du dialogue philosophique que Cavell entretient ici avec Shakespeare.
2021, édition augmentée de l'essai inédit en français « Macbeth horrifié »
traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Maquerlot, traduction des textes inédits par Aurélien Galateau
336 p., format 15 x 21 cm, 978-2-87704-235-2, 25 €
« Les essais de Cavell sur Shakespeare sont de passionnantes et incontournables méditations humaines sur la nature du génie artistique. »
Stephen Greenblatt, critique littéraire et professeur à l’Université de Californie à Berkeley.
« Ces essais sur Shakespeare, profondément lucides, complexes et émouvants, se distinguent dans l’histoire récente de la critique par la conversation qu’ils créent entre littérature et philosophie. Le volume rassemble certains des textes les plus remarquables de la recherche académique contemporaine. »
Martha Nussbaum, philosophe et professeure à l’Université de Chicago.
« L’apport fondamental de Cavell à la tragédie shakespearienne est qu’elle exprime la prééminence d’une vision sceptique du monde – nous ne pouvons jamais réellement savoir ce que pense l’autre. »
Michael Fried, historien de l’art, professeur émérite à l’Université Johns Hopkins.
« Ce qui est fascinant dans cette lecture de Shakespeare, c’est qu’elle touche véritablement au cœur de notre expérience quotidienne. »
Adam Haslett, romancier.
« Stanley Cavell est certainement le penseur américain contemporain le plus singulier et le plus profond. »
Sandra Laugier, philosophe et professeure à l’Université Panthéon-Sorbonne.