Mémoire vocale

200 poèmes allemands du huitième au vingtième siècle 

stockés et modérés par Thomas Kling

 

 

 

 

Mémoire vocale contient environ deux cents poèmes qui ont été rédigés en allemand depuis les débuts de la tradition écrite. C’est un choix très consciemment limité qui présente cependant l’avantage qu’on peut en faire le tour. Ce recueil offre aux lecteurs de la matière verbale en quantité suffisante, il offre également de la matière aux statisticiens et suit la réflexion de Nietzsche qui dans Humain trop humain écrit qu’il faut « chercher l’excellent en quelque endroit et sous quelque nom qu’il puisse se trouver ; qu’il convient en revanche de s’écarter aussitôt de tout ce qui est mauvais et médiocre sans le combattre, et que douter de la qualité d’une chose (doute qui s’élève rapidement quand le goût est un peu exercé) peut déjà valablement passer pour argument contre elle et occasion de l’éviter complètement. » J’ai choisi assez exactement cent poèmes dans une période qui va des débuts de la poésie en ancien haut allemand jusqu’au début du XXe siècle ; puis encore une fois environ cent poèmes jusqu’à nos jours, y compris les trente dernières années qui ont suivi la mort de Paul Celan (1970), y compris la période contemporaine jusqu’en 2000, l’année de la mort d’Ernst Jandl et de H.C. Artmann. Que Mémoire vocale accorde tant de place aux poètes qui écrivent en ce moment ne plaira pas à tout le monde. J’assume le reproche de frivolité qui en résulte et je renvoie à la postérité qui jugera.

En 2001, l’éditeur DuMont Verlag pose à Thomas Kling la question suivante : « De quels poèmes en langue allemande avons-nous besoin en ce début de siècle ? » C’est en tant que réponse à cette question qu’il faut lire le choix présenté ici : une sélection de 200 poèmes indispensables pour le poète qu’est Thomas Kling. La seule anthologie de poésie allemande disponible en français est actuellement celle de La Pléiade, et Mémoire vocale ne constitue pas une simple anthologie de plus : elle a valeur de programme poétologique. Des formules magiques de Mersebourg aux poètes et poétesses d’aujourd’hui, Kling choisit de présenter des textes destinés à mettre en valeur toutes les ressources qu’offre l’allemand sur une dizaine de siècles, dans la diversité de ses registres : langue incantatoire, jargons et hybridations telles que le rotwelsch, l’argot des classes marginalisées, mêlé d’allemand, de néerlandais et de yiddish. 

Si la plupart des noms attendus dans une telle anthologie sont présents : Bachmann, Brecht, Celan, Goethe, Hölderlin, Heine, Nietzsche, Novalis, Rilke, Trakl…, il s’agit là d’un choix singulier, à contre-pied du canon littéraire, notamment par la place limitée faite à la tradition classique et romantique, mais qui offre une part belle à la poésie du Moyen Âge, aux audaces de la poésie baroque, à la diversité inventive des écritures modernes et contemporaines. Celui pour qui le poème est « instrument optique et acoustique de précision qui provient et se met au service de la perception, la perception exacte de la langue » assume ici la subjectivité d’un choix moins de poètes que de textes admirés, ce qui peut expliquer les surprises que réserve Mémoire vocale : la poétesse d’origine juive Gertrud Kolmar, morte en déportation, est placée dans l’immédiat voisinage de Josef Weinheber, poète autrichien controversé en raison de sa collaboration avec le régime nazi ; Nelly Sachs, lauréate du prix Nobel de littérature en 1966, n’est pas présente dans cette anthologie, pas plus que Hugo von Hofmannsthal, qui a été un représentant important du symbolisme allemand, Kling lui préférant son ami Rudolf Borchardt, un strict formaliste, théoricien d’une « Restauration créatrice » nourrie d’Antiquité et de classicisme. Des surprises, et de nombreuses découvertes, comme les poèmes magnifiques d’Annette von Droste, figure majeure du XIXe que Kling aimait particulièrement, la présence des avant-gardes autrichiennes avec Ernst Jandl, Reinhard Priessnitz…, ou les choix audacieux de nombreux poètes contemporains, comme Anne Duden, Kurt Aebli, Barbara Köhler ou Marcel Beyer. Il importe ainsi de replacer Mémoire vocale dans le contexte de la poétique de Kling, qui considère que « la poésie procède du flux de données, elle est – si elle réussit, si elle fonctionne –, un flux dirigé de données et déclenche un tel flux chez le lecteur ». C’est à la reconfiguration d’un tel flux dynamique que travaille Mémoire vocale.

 

2023, anthologie établie, présentée et commentée par Thomas Kling

Traduit de l'allemand par Laurent Cassagnau et Aurélien Galateau

320 pages, broché, format 15 x 21 cm, ISBN 978-2-87704-256-7, 25 €

Imprimé en France