Dioptre

 

 

 

 

 

 

 

 

NOUVELLES

 

d’un autre massacre ; et le radieux matin clair.

Continuer à marcher. « La contradiction » est humaine – je le sais.

Et « le sachant »… Un tremblement d’où la tempête – une sorte

de peur – se lève, et retenir mon souffle

 

pour arrêter ça. Penser soudainement que quelque part dans le souffle – le long

du souffle, il y a un moment d'intelligence. Quelque part – mais quelque part

en passant – où la matière se réconcilie.

 

Un dioptre est une surface qui sépare deux milieux transparents qui ne dévient pas la lumière sous le même angle. Phénomène optique que Carol Snow applique à la mémoire, à la façon que l’on a d’accéder à ses souvenirs, qui parfois se réfléchissent, parfois se dévient, se défilent. Réflexions, reflets, halos, « ondes arrêtées », Dioptre, dans le prolongement d’Artiste et modèle (Unes, 2019) avec lequel il partage ses références picturales (Bacon, Moore, Cézanne…), est un livre d’images : « imagine te souvenir », dit Carol Snow qui découpe, à la façon de Matisse, des silhouettes « à vif dans la couleur », en suivant le souffle, la projection de la lumière sur la mémoire.

Motifs familiers des collines, du jardin, du ponton, de la chambre : les poèmes captent des images brèves, ponctuelles, parfois superposées, et les maintiennent sur la page en facettes, en éclats qui composent la diffusion d'une vie secrète. Poèmes de sensations visuelles, mais également tissés de voix, de phrases ressurgies, de discussions familiales, où affleure l’intimité avec la mère, et l’évocation douloureuse du père. C’est ce fil, voire ce lien qu’il faut remonter, comme on clarifie une image sous la surface de l’eau.

Carol Snow remonte dans ses souvenirs avec une étrange solitude, douloureusement contenue, avec une précision du langage qui emprunte à la précision de la position des corps dans la danse, et à la spiritualité asiatique ; c’est-à-dire que la dureté de la précision permet d’atteindre une forme de douceur et de grâce. Une façon de « placer le regard » aussi justement que le corps pour capter la lumière.

Précision recueillie, car « l’espace est fait de silence », et qu’elle repousse le désordre, arrange la mémoire comme un jardin, aborde les instants avec délicatesse, puisque on ne franchit pas la surface des événements passés – on ne franchit pas le dioptre – au-delà d’une certaine inclinaison. Remonter le fil malgré une « mémoire blessée », et certains éclats du passé difficiles à percer, à retrouver, résistent, autour de la figure du père, avant de se dénouer, d’apparaître fugitivement dans toute leur lumière insoutenable, puis de s’estomper, sans réconciliation. La lumière ne franchit pas toutes les surfaces.

 

2022, traduit de l'anglais (États-Unis) par Maïtreyi et Nicolas Pesquès.

80 pages, broché, format 15 x 21 cm, ISBN 978-2-87704-254-3, 17 €

Imprimé en France