Carol Snow

Artiste et modèle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’avais essayé de décrire comment il semblait facile

d’être dehors – feuilles et herbe

attentives à verdir en guise de compagnie ; – combien ma difficulté

à vivre seule était exacerbée par les objets

que j’avais choisis ou qu’on m’avait donnés, par la nécessité 

 permanente d’avoir à les reconnaître

– ce que, à l’image de la poupée 

passant tendrement toute la nuit avec moi,

je savais n’être qu’illusion.

De la peinture et du réel, lequel de ces deux mondes est le plus plat ? Et quelle est notre place, dans cet aller et retour entre le corps des images et notre propre corps, dans cet intervalle ? Carol Snow déplie les épaisseurs de notre présence aux choses, dans les impressions fugaces, les bruits du matin, les mouvements et l’attente. Son écriture retenue, mais jamais rétractée, s'ouvre de l'intérieur, dans une discrétion douce, en touches précises, irradiée de soudains accès d'intimité. Nous sommes entourés d’objets immobiles, de couleurs, de motifs qui palpitent entre le tangible et l'intangible. Et de tableaux, on évoque Matisse, Monet, Cézanne, Giotto, dans cette « mémoire récurrente » de l’art. Les douleurs et les destinées se mêlent, qui souffre ? Est-ce notre souffrance dessinée sur la toile, ou celle des personnages muets ? Est-ce notre histoire ou la leur ? Artiste et modèle sonde la réciprocité, la coïncidence du réel et de la peinture, qui projette ses formes et ses couleurs sur notre vision du réel. Nous sommes des spectres dans les rues, parmi nos semblables, aux carrefours, à la piscine municipale. Alors que les tableaux se reflètent sur les murs du jardin, en éclats de lumière. On remonte et on déploie le souvenir à l’intérieur de l’art, on suspend les images comme du linge à sécher dehors, dans une forme de lenteur attentive à laisser les choses les plus minimales se déployer, se faire sentir, dans les oscillations de "l'empreinte du temps". On appréhende la dérive de la réalité, au fond de nos corps, de nos corps exprimés par les autres. La mort n’est pas dans la peinture, mais dans les mauvaises herbes en décomposition dans le jardin, et « ce qui frissonne, c’est notre reflet », dans la solitude des regards.

 

2019. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Maïtreyi et Nicolas Pesquès.

Vignette de couverture de Gérald Thupinier.

80 p., 15 x 21 cm, ISBN 9782877041997, 16 €