Mara ou Tu peux en vouloir au soleil

 

 

 

 

 

Le désert de l’âme

(30 août 1939)

 

 

Ils sont en train de ranimer les vieilles horreurs ; et tout ce qu’ils disent sont les échos des échos.

Méfiez-vous de prendre parti, contentez-vous d’observer.

Ce ne sont pas des criminels, ni des colporteurs et des petits journalistes, mais les gouvernements

Des plus grandes nations ; des hommes représentant

Avantageusement les masses humaines. Observez-les.

    Le courroux et les rires

Sont plutôt inappropriés. Clairement il est temps

D’être désabusés, pour chaque personne de pénétrer le désert de sa propre âme

Et rechercher Dieu – ayant vu l’Homme.

 

Paru en 1941, et sommet de l’œuvre du poète américain Robinson Jeffers, figure solitaire et sauvage des lettres américaines, Mara ou Tu peux en vouloir au soleil s’ouvre sur un ample roman en vers en 12 chapitres de Bruce Ferguson, éleveur et vendeur de bétail sur la côte californienne, qui incarne à lui seul la tension tragique de la poésie de Jeffers. Dans un monde de « nouvelles sales et sanglantes », à mi-chemin entre le rural et la modernité, entre l’archaïsme et la radio, entre le cheval et la voiture, cette fresque familiale éclate à la fois sous la violence intime, couvée de jalousie, de mensonge et de silence, et le fracas de la montée au pouvoir d’Hitler et de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande. Les grands incendies qui ravagent le paysage et les crashes de dirigeables semblent être la manifestation extérieure des pulsions destructrices qui animent ces personnages qui s’aiment et se déchirent dans l’espace exigu de leurs maisons en bois. Frères, parents, époux, amants, ces êtres qui ne savent pas comment ne pas se détruire, hantés par l’enfer – mais cet enfer simple de ceux avec qui l’on partage sa vie – sont des silhouettes nocturnes et dérisoires au bord du rugissement des vagues de l’océan, des remous de l’histoire. Pris dans cette atmosphère d’orages, ils ne savent pas comment être libres, mènent une vie d’aveugle et de tempête, enfermés dans le piège des autres, où le seul antidote au poison du mensonge semble être le mensonge lui-même. « Personne ne connaît la différence entre le bien et le mal » dit Jeffers dans ce livre qui questionne la folie, la morale et la chute de l’occident, peuplé de spectres, d’apparitions et d’oracles. Mara est cet esprit qui guide et tourmente Bruce Ferguson qui comme la plupart des personnages du livre cherche la voix des morts, pour ne pas sombrer avec la civilisation qui s’effondre dans la guerre. L’humanité est maudite, piégée dans le cycle du « galop des mondes », qui voit se substituer des vagues de destruction à des vagues de progrès, il en est ainsi depuis Alexandrie, depuis Rome, depuis Byzance. Race humaine qui a capturé tous ses rêves, « sauf la paix » et dont Jeffers, au fil de ces longs poèmes narratifs « douloureux à l’excès », questionne la notion du sacrifice comme acte rédempteur ou de disparition pure et simple. Il aura trouvé sa réponse pour lui-même, dans un dernier éloge attristé de la solitude, débarrassé des hommes, à l’écart de toute guerre, entre montagne et océan.

 

2022, traduit de l'anglais (États-Unis) par Cédric Barnaud

128 p., format 15 x 21 cm, ISBN 978-2-87704-245-1, 21 €

Vignette de couverture par Philippe Guitton, imprimé en France