Fernando Pessoa

Ode Maritime

Seul, sur le quai désert, en ce matin d’été,

Je regarde du côté de la barre, je regarde l’Indéfini,

Je regarde et j’ai plaisir à voir,

Petit, noir et clair, un paquebot qui entre.

Il apparaît au loin, net, classique à sa façon.

Dans l’air lointain il laisse derrière lui l’ourlet futile de sa fumée.

Il entre, le matin entre avec lui, et sur le fleuve,

Ici, là, s’éveille la vie maritime,

Se hissent des voiles, avancent des remorqueurs,

Surgissent de petites barques d’entre les navires du port.

Il y a comme une brise.

Mais mon âme est avec ce que je vois le moins,

Avec le paquebot qui entre,

Parce qu’il est avec la Distance, avec le Matin,

Avec le sens maritime de cette Heure,

Avec la douceur douloureuse qui monte en moi comme une nausée,

Comme un début de mal de mer, mais dans l’esprit.

 

Parue en 1915 dans le deuxième numéro de la revue Orpheu, l’Ode maritime est la plus importante d’Álvaro de Campos, l’hétéronyme « alter-ego » de Fernando Pessoa. Texte sublime et furieux, texte de l’imagination flottante, emportée par la vision des bateaux qui entrent et sortent des ports, portée par la mélancolie de ceux qui restent à quai. Poème du rêve et des époques, entre le modernisme des machines et la nostalgie d’un temps où tout était plus grand car on allait plus lentement ; poème de l’âme emportée dans le large, au loin de sa vie, c’est à dire là où l’on ne peut imaginer sa vie. Texte qui gonfle comme une voile, s’enveloppe dans les cris, les cris sauvages et les fantasmes de matelots et d’histoires. Livre des images et d’une liberté régénérée dans l’imagination, dans les mythes des mers naviguées, cris désespérés de violence comme s’il fallait s’extraire de soi-même au couteau. Ode spasmodique et brutale qui nous rejette vers l’enfance, dans le calme soudain et la nostalgie de l’enfance, dans la petite maison de l’enfance, quand on était heureux pour toujours. Et s’éveillant du rêve après le délire, on se retrouve dans l’immédiate acceptation de son existence. Dans nos vies alignées comme des factures, nos vies assises et réglées, seuls sur le port à regarder les navires disparaître. La traduction que nous donne Thomas Pesle de l’Ode maritime, si fluide de précision et de simplicité, revigore la lecture de ce poème mythique écrit il y a tout juste cent ans.

 

2016, traduit du portugais et accompagné de dessins par Thomas Pesle

48 p.,17x24 cm, ISBN : 9782877041645, 15 €

Tirage de tête

22 exemplaires numérotés, contenant une œuvre originale de Thomas Pesle, signée.

200 €