On regarde briller les feux de Port-Saïd,
Comme les Juifs regardaient la Terre Promise ;
Car on ne peut débarquer ; c’est interdit
– Paraît-il – par la Convention de Venise…
À ceux du pavillon jaune de quarantaine.
On n’ira pas à terre calmer ses sens inquiets
Ni faire provision de photos obscènes
Et de cet excellent tabac de Latakieh...
Poète, on eût aimé, pendant la courte escale
Fouler une heure ou deux le sol des Pharaons,
Au lieu d’écouter miss Florence Marshall
Chanter « The belle of New York », au salon.
Cette édition rassemble dix poèmes publiés par Levet en revues entre 1900 et 1902. Ils sont comme des cargos qu’on décharge, pleins de surprises lointaines et exotiques, bigarrées et compliquées mais toujours merveilleuses. Il y a le calme délassement d’une classe sociale qui pourrit de l’intérieur. Des comtesses qui empruntent des boulevards portant leur nom, des sensualités mondaines, une élégance d’un snobisme étudié. Et dans l’évocation des ces consuls, de ces administrateurs de colonies, de ces officiers, à travers les épices de bout du monde et les vapeurs d’opium, se dépose une douceur de chaque instant. Bien sûr, les cœurs sont lourds, la solitude omniprésente, les distractions routinières, et la peste fait des ravages, mais le soleil ne cesse de briller. Discret dynamiteur de formes, Levet malmène les hémistiches comme on déplace le regard. Jouant d’une forme bientôt désuète qu’il pousse au comble d’un raffinement détraqué. Ses vers sont faux, son regard est vrai. Levet est un amoureux de la diversité des pays et des hommes, révélant avec dérision de profondes mélancolies déracinées. À l’occasion de cette édition, Daniel Nadaud a dessiné 11 cartes postales en écho par-delà les époques.
Dessins de Daniel Nadaud
2018, 32 pages, ISBN 978-2-87704-187-4, 12 €