Le monde était vieux
avant même
d’être né,
car personne
n’apprend des autres,
mais en faisant soi-même
erreur sur erreur
encore et encore.
Atlas, globe, carte,
le monde a été découvert,
mais pas par moi…
Dans le coeur existe
cette boussole interne
que je suis.
Suivant quoi d’autre
pourrais-je bien naviguer
avec une précision exacte ?
Troisième volet de la « quadrilogie des éléments » de la poétesse danoise Pia Tafdrup, La Boussole des oiseaux migrateurs est une mappemonde qui défile sous nos yeux. Dans Les Chevaux de Tarkovski, livre de la terre, Tafdrup évoquait la fuite des souvenirs et accompagnait son père au bout de la maladie ; dans Le Soleil de la salamandre, livre du feu, elle remontait les cinquante premières années de sa vie à raison d’un poème par année. La Boussole des oiseaux migrateurs est le livre de l’air, un voyage à rebours qui commence avec le premier désir d’envol de l’enfance, dans la ferme parentale isolée. Un livre d’envol oui, au bout des pieds de son père qui la soulève de terre en lui tenant les mains, découvrant les avions qui décollent sans elle lorsqu’elle accompagne son grand-père pour la première fois à l’aéroport, envol à l’arrière d’une moto, filant dans la nuit les mains enroulées autour de la poitrine d’un jeune garçon… Pia Tafdrup évoque avec une grâce sans pareille la part d’errance et de cap, d’erreur et de découverte qui nous guident en chemin, avec une acceptation absolue de l’existence dans ses heurts et ses travers, ses joies et ses questions, car il n’y a qu’un seul chemin, le nôtre. On ne peut pas faire demi-tour, et on marche non « pour s’approcher du but, mais pour observer ce qui s’approche ». Si les poèmes d’ouverture nous plongent dans « les sons d’autrefois », entre le tracteur, la vieille citerne, la terre humide et les chevaux, au milieu de ces vies rurales qui naissent et disparaissent discrètement, la suite est étourdissante et nous projette dans un tour des impressions du monde comme on fait tourner un globe terrestre du bout des doigts. Tafdrup fait la liste des objets qu’elle emporte en voyage, puis la liste des choses rapportées de voyage, puis la liste des choses oubliées ou perdues en voyage avec cette question de savoir ce qu’est un voyage. Un « aller-retour » répond-elle, qui doit se terminer sans quoi il ne mènerait nulle part, ne serait que « fuite, exil, bannissement ». Dans cette réflexion sur les racines qui a pour moteur la rêverie, elle chante aussi bien l’aller (issu des rêves d’une jeune fille de la campagne) que le retour (ce qui la ramène chez elle, et la force des souvenirs), et toujours se fie à cette « aiguille de la boussole qui fait vibrer les jours », et qui permet de traverser ce monde étranger et extérieur alors que nous sommes faits d’intime. Les oiseaux migrateurs qui guident Tafdrup, ce sont les mots, sa seule patrie, sa langue maternelle, son viatique où qu’elle soit sur la terre. « Jamais je n’ai désiré plus qu’une seule vie » nous dit-elle dans ce livre où, sûre d’où elle vient, elle cherche où elle est allée, avec en elle le poids des désirs contrariés des femmes de son enfance, de sa mère et de sa grand-mère, dont elle accomplit en voyageant le destin auquel elles n’ont pas eu droit.
2024, traduit du danois par Janine Poulsen, préface de Bernard Chambaz
112 p., format 15 x 21 cm, broché cousu, ISBN 978-2-87704-278-9, 20 €
Imprimé en France