Geoffrey Squires
Ils brûlent les feuilles à nouveau
les feuilles sèches entassées en petites collines
au fond du parc
pas de flamme visible mais un léger panache
de fumée, et cette odeur âcre, triste
je me souviens de cette période l’an dernier
cette période il y a trois ans
et toujours le même sentiment, un sentiment
qui n’a rien à voir avec moi
aussi clair et vide et abstrait
que le ciel aujourd’hui
ils brûlent les feuilles à nouveau
les feuilles mortes entassées en petites collines
Parus en 1980, ces XXI poèmes sont la première séquence publiée en tant que telle par Geoffrey Squires. Après des premiers recueils composés de poèmes distincts, à la construction marquée par la rupture (Pierre noyées en 1976 et Silhouettes en 1978), Squires adopte, en substituant la variation à la variété, le rythme qui guidera ses livres ultérieurs (de Poème en trois sections à Sans titre en passant par Paysages et Silences) : soit une suite de poèmes qui forment un ensemble continu et se recentrent sur les sens et la perception du monde. Dans un mouvement allant de la dimension générale au détail particulier, le paysage se trouve déconstruit en collines, champs, maisons, ponts, arbres… et l’air, le silence, les mouvements infimes des feuilles, une odeur sur un chemin, tout ce qui passe et lie les choses dans un motif commun. Tout ce qui au fond est perceptible, anime, passe et disparaît, sans laisser d’autre trace qu’une vibration des sens. Une forme de sortilège du monde, une fascination qui nous tient dans les reconfigurations infimes et permanentes du même, dans les oscillations et les superpositions de la lumière ; son miroitement et sa transparence. Quelque chose se referme sur nous, le regard ne nous tient ni à distance ni à l’extérieur, le monde nous englobe. Squires cherche à approcher la réalité des objets et des surfaces, avec acuité, avec une précision alerte et attentive, face à un arbre muet, dans le bruit d’une mer qu’on ne voit pas, dans un bourgeon de fleur, dans toute chose « si réelle quelle en est irréelle ». Sa poésie plonge dans l’écriture illisible de la vie que l’on cherche à déchiffrer, dans laquelle on se fraie un passage – mais vers quoi ? écriture tracée par des milliers de mains, dont on ne peut jamais se reculer suffisamment pour voir clairement le dessin général. Que retient-on de ce langage brouillé ? Les voix dans l’espace, la ligne d’un nuage, la douce chaleur de l’air, la répétition des gestes, les habitudes des saisons, ou l’inattendu d’un train côtier qui traverse la nuit au lieu du bruit des vagues. Un sentiment « clair et abstrait » de vivre dans un paysage plus général que celui de sa propre vie, dont on ne peut saisir vraiment le mouvement mais seulement entrapercevoir le rythme, les brefs éclats de la lumière. Existence silencieuse – nid d’oiseau fragile dans l’arbre – dont la trace éblouie oscille entre apparition et oubli, présent soluble et mémoire. Comme si nous attendions, assourdis et aveuglés, une forme de révélation, ou de confirmation de notre présence dans la présence des arbres, de la rivière, des roses, pour emporter un fragment d’odeur, de vent ou de bruit avec soi pour la route.
2021, bilingue, traduit de l'anglais (Irlande) par François Heusbourg
Imprimé en typographie, 56 p., broché, format 15 x 21 cm, ISBN : 978-2-87704-228-4, 15 €
Edition limitée à 33 exemplaires imprimés en typographie sur vélin BFK Rives, répartis comme suit :
XI exemplaires, numérotés de I à XI, contenant des interventions originales à même les pages de Stéphanie Ferrat, signés par l'artiste au colophon et réunis sous un emboîtage réalisé par l'atelier Jeanne Frère.
550 € jusqu'au 30 juin, puis 650 €
22 exemplaires contenant une œuvre originale de Stéphanie Ferrat, signée.
150 € jusqu'au 30 juin, puis 200 €