Bernard Noël et Georges Perros
Mon cher Georges,
tant de silence, comme un désert à franchir maintenant, et dont j'ai assez peur. Vous étiez présent quand même, mais ce qui demeure fixe de mon côté a pu bouger du vôtre... J'aurais préféré venir vous voir. Déjà dit, autrefois. Longtemps malade, l'an passé. Sans doute simplement d'en avoir par dessus la tête du dictionnaire, et surtout de ceux qui le font faire. Plus détaché maintenant, et moins prêt à tomber dans les nostalgies passées. C'est drôle, quand le cœur cède, des tas de mots deviennent inemployables, dont on sait soudain trop bien le sens.
Faite de pudeur, parfois de timidité, cette correspondance entre deux écrivains de "grand format" témoigne d'une grande attention à l'autre, à ses projets et à ses livres. Certes, elle peut sembler plus d'une fois en péril, comme le montrent ses interruptions, mais à chaque retrouvaille, cette correspondance nous dit qu'il n'en est rien. La présence ténue de l'autre a laissé derrière elle un sillon dans lequel se déposent ses livres et son empreinte : ces deux hommes se connaissent et se reconnaissent. Entre le silence "à vide" et "avide" de Bernard Noël et la "liberté du retrait" cultivée par Georges Perros, la lettre prend alors une allure qui dépasse le médium, elle touche à la fugue, à la méditation sur l'homme et sur l'écriture.
Hervé Carn (extrait de la préface)
1998, préface et notes de Hervé Carn
152 p., 15x21 cm, ISBN 2877041077, 24 €
Tirage de tête